Études expérimentales de la formation de clusters dans les noyaux légers

Densité des clusters alpha (gauche) et des deux neutrons en excès (droite) dans Be-10 calculées par T. Otsuka et al., Nature Comm. 13,2234 (2022) (extrait de la figure 3, license CC BY 4.0 DEED)

Le phénomène de formation de clusters ou agrégats est très répandu, commun à différents milieux physiques et se caractérise par l’agrégation, partielle ou totale, des constituants élémentaires dans des structures complexes, qui, si l’agrégation est partielle, rompent l’homogénéité globale du milieu. Dans ces systèmes, la formation d’agrégats s’accompagne d’un gain de stabilité (liaison plus importante) par rapport à la phase homogène. En ce sens, vis à vis de la matière nucléaire infinie, considérée comme un milieu homogène de protons et de neutrons, les noyaux eux-mêmes sont une forme d’agrégats et leur existence est la preuve de la forte liaison assurée par la force nucléaire.

L’énergie de liaison par nucléon dans certains noyaux, comme celui de l’atome d’hélium (appelé particule alpha), peut être particulièrement importante, à tel point que, par exemple, il est énergétiquement favorable au noyau de béryllium 8 de se scinder, en quelques dizaines d’attosecondes, en deux particules alpha. Cette observation, ainsi que l’émission de particules alpha par de nombreux noyaux, ont amené les physiciens nucléaires à se demander s’il n’était pas possible que des particules alpha, ou d’autres noyaux légers fortement liés, existent sous forme d’agrégats nucléaires “préformés” dans des noyaux plus lourds, modifiant leurs propriétés d’une manière tangible.

Le phénomène de la formation d’agrégats nucléaires a déjà été prédit par une série d’approches théoriques, y compris des calculs ab initio. Néanmoins, la preuve expérimentale définitive reste difficile à apporter, puisque les agrégats eux-mêmes ne peuvent être observés directement à l’intérieur du noyau. Une approche poursuivie par les chercheurs de l’équipe NESTAR du pôle nucléaire d’IJCLab consiste à rechercher les agrégats nucléaires en cassant le noyau dans des réactions et en observant la distribution des fragments éjectés. Les expériences récentes qu’ils ont réalisées à RIKEN, au Japon, visaient à briser des isotopes de béryllium riches en neutrons sur une cible d’hydrogène solide et à détecter en coïncidence les fragments, particules alpha et protons, résultants. La section efficace de production observée a été comparée à un modèle théorique représentant l’état de l’art qui, pour décrire correctement l’amplitude et la forme de la section efficace dans le béryllium 10, a du “permettre” au noyau de développer une densité ressemblant à deux agrégats alpha, liés par les deux neutrons supplémentaires (voir par exemple la figure qui montre un calcul récent). On retrouve une telle configuration à l’échelle moléculaire lorsque deux atomes partagent deux électrons (liaison covalente) pour former une molécule diatomique. Les résultats actuellement soumis pour publication font partie d’une campagne permanente d’étude des propriétés des noyaux légers au RIKEN et au GANIL

Corréspondent Didier Beaumel